samedi 30 décembre 2006

Eighth verse


Les prêtres on les voit plus à l’hôpital et dans les maisons de retraite, que dans des Commissariats. Et quand je vois l’effet de celui là sur les gars de la journée, je me dis qu’il me tarde qu’ils passent par la case sénior. Des que cet homme est arrivé, ils se sont tous calmé. Du dealer à la pute éméchée. Jésus se serait pointé qu’on aurait eu un effet similaire. Le double effet Noël et prêtre à l’accueil, ça te rappelle que t’as pas été vraiment chrétien ces dernier temps. Et le gars de l’accueil en rajoute une couche, avec ses « mon père » par ci, « mon père » par là… Et le pire c’est que le prêtre a l’air plus gêné qu’autre chose. Il me regarde un instant, et j’ai l’impression tenace, qu’ici finalement, c’est lui qui culpabilise le plus.
Un message gribouillé sur un morceau de papier crade à en-tête. Il est là, au sujet de l’affaire Effar. Je m’attendais à un psy, un amant, mais pas à un prêtre, je pense jamais que ces gars la ont une vie après l’office. Je fais dégager un bureau, le mien est déjà occupé. Je fais passer le mot. Je vais le voir, qu’il attende deux secondes à l’accueil.


Je n’avais jamais pénétré dans ce monde a part, ou l’on traite de l’extérieur ce que je tente de percer par la voie intérieure. Ou plutôt ce que je tentais de percer jusqu’il y a peu. Les mots de la lettre que j’avais écrite ce matin semblaient encore danser derrière mes yeux, et j’étais persuadé que le monde entier pouvait les lire. Mes fautes, ou mes égarements me paraissaient marqués sur mon visage, dans ma chair. Et ce jeune homme à l’accueil, si poli, si courtois, un peu trop empressé peut-être pour être vraiment tranquille avec lui-même, ne semblait pas se rendre compte que moi aussi, je luttais. Je jouais un rôle, celui qu’on attend de moi. L’homme tranquille qui vient parce que c’est nécessaire, qui n’a rien à se reprocher. Mais c’était difficile. Difficile à cause de ce regard posé sur moi depuis mon arrivée. Le regard d’un homme qui pouvait comprendre, ou au moins qui savait voir, ce qui est si rare de nos jours. Le regard que j’avais tenté d’avoir sur elle, dans les instants précieux que nous partagions. Le regard de cet homme pourtant, me déstabilisait plus qu’il ne me rassurait, je le savais, et je savais qu’il le savait. J’avais presque envie de sourire devant cette communication silencieuse, presque, car je voyais bien qu’il me serais difficile de lui cacher quelque chose. Et dévoiler les histoires d’autrui n’était pas vraiment dans mes habitudes. Ses histoires à elle, encore moins.


J’installe les chaises, je pousse les papiers. Dans cette époque ou l’informatique fait loi, et ou on se fout de notre gueule pour notre vitesse de frappe, je préfère encore sortir un carnet pour prendre des notes que de me laisser avoir par le ridicule.
Il est devant la porte. D’un geste je lui fais signe d’entrer.
- Inspecteur Martigan, vous êtes la pour l’affaire Effar ?
Il me tend la main, un sourire bref. Une légère hésitation.
- Hugo Castel, j’étais le confesseur de Yolande.
Je reste silencieux. En général, c’est plutôt difficile de faire parler un prêtre, secret de la confession et tout ce qui va derrière. Il me tend un papier, c’est une lettre. Je commence à la parcourir en lui désignant la chaise devant moi. Apres ma lecture, je commence à comprendre.
- Elle a été postée ce matin.
- Et je suppose que les « relations contraire à votre fonction » concernent Mme Effar ?


Je me demande ce que j’espère de cet entretien. J’avais apporté la lettre, peut être plus parlante sur certains points que ce que j’aurais pu dire. Mais là, l’Inspecteur me surprenait. Pas une once de surprise. Il me regarde, et ne parait même pas étonné. Comme si c’était tout ce qu’il y avait de plus normal. Comme si le fait que je me sois éloigné de Dieu, de ma fonction, que je sois parjure avec mon serment, était naturel, dans l’ordre des choses. Je crois que notre communication silencieuse le dérange, comme elle me dérange, il cherche le dialogue verbal, pour entendre ce qu’il sait déjà. Et je ne suis pas sur de pouvoir prononcer les mots qu’il veut entendre. Je m’assois. Et je le regarde. J’attends la question fatidique, elle tombe. Et je sais qu’à cet instant, je scelle quelque chose à nouveau, tout comme quand j’ai rédigé et posté la lettre ce matin. Je concrétise, je rends tangible mes craintes, mes doutes. Je dépose ma Foi, pour aller vers des chemins que je ne connais plus. J’ai peur, peur pour moi, peur de moi, peur de ce que je sais d’elle, ce qui a échappé au reste du monde. Et j’ai peur aussi, car je vais devoir partager tout cela. Parce que je n’ai plus le choix. Parce que l’échange profond que j’ai eu avec elle de son vivant, ne peut pas en rester là. Parce que parler avec cet inspecteur va faire revivre quelques instant Yolande, ses angoisses et sa perception du monde. Et le « nous » qu’il n’y aurait jamais du avoir.
Je m’entends prononcer le oui. La discussion risque de durer longtemps.

"Il n'était pas lui-même la lumière, mais sa mission était d'être le témoin de la lumière". Jean, chapitre un, verset huit.

jeudi 28 décembre 2006

The Seventh Sin

Les gens ne diront jamais assez ce qu'ils pensent, j'imagine. Combien de démons intérieurs pourraient être combattus si l'on les mettait simplement en lumière? On se rendrait compte que finalement ils n'ont rien de diabolique... C'est une question de maîtrise.
Mais, quand tu enterres quelqu'un qui venait te voir régulièrement, qui se confiait à toi, qui essayait de voir la lumière en lui-même, il y a quelque chose d'horrible qui fait surface.
Oui, quelque chose comme l'impuissance et comme la vanité de toutes choses.
Qu'on avance en faisant face à soi-même ou non, la fin, l'issue sont toujours les mêmes.
Combien la mort est brutale, le pourquoi aussi finalement ne font pas sens.
En tant que prêtre, c'est ce que j'ai appris à l'enterrement de Yolande.
Quelle leçon tirer de tout cela?
L'absurdité peut prendre pas sur la foi à n'importe quel moment.
Et la vague de questions sans réponse, de questions posées en de mauvais termes font leur intrusion et effritent doucement ce sur quoi quelques instants auparavant tu te reposais de tout ton poids, sans redouter que cela rompe.
Il n'y a pas de doutes sur le fait que j'étais très attachée à elle. Elle était touchante, trop intelligente, trop sensible. Elle lançait tous ces efforts pour surmonter ça, trouver Dieu, se trouver elle-même. Ca ressemblait vraiment à un mode d'emploi pour survivre : si je veux aller bien, je dois faire ça, je dois faire ci. Il le faut. S'en sortir, coûte que coûte et vivre quoiqu'il arrive. Bien sûr, elle portait un trop lourd poids pour ses épaules, ce secret épouvantable...
En parler lui faisait du bien, mais il restait cette notion expiatoire : le fait de s'en sentir soulagée quelques instants la replongeait à nouveau dans une immense culpabilité.
Comme si cesser une seconde de considérer qu'elle n'était pas un monstre allait faire d'elle un véritable monstre.

Bien sûr qu'avec Yolande, nous avions des rapports qui allaient en l'encontre de mon statut. Et cela n'arrangeait pas les choses. Ce qui explique aussi peut-être pourquoi je me sens tant responsable de sa mort. Même s'il ne s'agit pas d'un suicide.
Depuis qu'elle est partie, il y a ce poison distillé dans mes veines, cette panique immense. J'aurais beau avoir l'air détaché, il va falloir que je prenne les choses en main. Que je m'affronte à mon tour.
Lorsque le service funèbre sera terminé, j'enverrai ma lettre. Et j'irai à la police trouver la personne qui s'occupe de l'enquête. Je peux aider, je dois aider.
Ne plus porter l'habit de prêtre sera quelque chose de très étrange pour moi.
Ne plus porter Dieu en moi l'est déjà tout autant.

samedi 23 décembre 2006

Six, little marks…


Il n’avait pas pu dormir ces dernier temps. Sa sœur lui avait dit que c’était normal. Que ça passerait. Comme la douleur. Le Commissaire ne lui avait pas posé plus de questions. Il lui avait foutu la paix. Et lui qui croyait que le mari était toujours le principal suspect… Il avait demandé un congé maladie. Il ne savait même pas pourquoi. Il tournait en rond dans son appartement, remettant de l’ordre alors que tout était déjà rangé. Sa sœur voulait passer emballer les affaires. Mais Yolande n’était pas encore enterrée. Il avait refusé.

Au fond de lui il se demandait s’il avait vraiment connu sa femme. Il regardait à nouveau les affaires qui lui appartenaient. Il remarquait certains détails qui lui avaient échappé. Rien qui pourrait expliquer sa mort. Des choses qui pouvaient expliquer sa vie. Ce qu’elle était. Qui elle était.Il avait trouvé l’endroit où elle cachait ses anxiolytiques. Traitement des angoisses aiguës. Il n’avait pas remarqué. Il n’y avait pas eu de signes. Pas d’appel à l’aide. Rien.
Il avait renversé son flacon de parfum. Elle en avait changé. Il n’avait pas remarqué.
Trop de choses qu’il ne voyait plus depuis longtemps. Ce qui se passe quand le couple prend un air d’acquis.
Il finit par sourire, un de ces sourires tristes, d’où aucune chaleur ne perce. L’inspecteur finirait par mieux connaître Yolande que lui. Parce que Martigan, prenait la peine de la regarder à nouveau.
Lui visiblement, avait oublié de le faire pendant trop longtemps.



A force de regarder ces putains de photos, j’en avais mal aux yeux. Ils ne penseraient jamais à changer ces saletés de néons. Allumés de jour comme de nuit, à te vriller les nerfs optiques pour te rappeler comme c’est bon de servir la justice. Merci du cadeau Messieurs les Elus, oubliez moi pour Noël. On m’a déjà offert un cadeau cette année. Et justement ce cadeau je l’ai sous les yeux.

Le gars de la photo c’était excité sur son appareil. Mais il ne manquait rien. On voyait tout, même ce qui ne servirait probablement pas. Son sac renversé, ses clefs encore à la main. Son vernis à ongle écaillé à certains endroits. Et six petites marques bizarres à l’avant de chacune de ses chaussures vernies. Des chaussures de princesse. Le genre de truc que les gamines veulent avoir quand elles ont dix ans, qu’elles finissent par oublier pendant vingt ans et qu’elles achètent des qu’elles ont les moyens. Avec un tas de justifications en plus de ça. Ouais je me plante pas. Six petites marques parallèles, là, sur le devant de ses deux chaussures. Et du récent avec ça, j’en mettrais ma main à couper. Le labo doit pas tarder à m’envoyer les résultats. En attendant, faudra voir ça avec le mari.

Je me retape le rapport d’autopsie simplifié. Le truc que me pond le Doc pour que je comprenne tout. La balle qui l’a tuée, un neuf millimètres. Efficace. Même pas entre les deux yeux. On casse le cliché, pas d’épisode télé sur cette affaire. Entrée propre, la sortie un peu moins. Valait mieux pas qu’il la touche, c’est sur. Son mari m’a donné les doubles des clefs de sa femme. Quatre en tout de son côté. Mais six sur la dame. Encore un truc qui colle pas. Le nombre six revient. Et je sais que ça n’a aucun rapport. Mais faut bien se raconter des histoires pour essayer de comprendre l’histoire.

J’ai du contacter ses parents, ils m’attendent à côté. Je devrais pas trop traîner, mais j’ai pas envie de revoir encore et encore le même regard d’espoir quand je passe le seuil de la porte. Les regards qui attendent des réponses, qui attendent des explications. Pour pouvoir accepter l’inacceptable. J’ai rien à leur donner, pas un début de piste. Pas l’ombre d’un suspect. Ouais, ils vont être sacrements déçus. Ils pourront peut être me dire pourquoi elle tournait à l’antidépresseur. Et avec de la chance, le nom du psy qui lui a prescrit. Ca serait déjà un début.

mardi 19 décembre 2006

Five Little Fingers

Je fais jamais de mes enquêtes des histoires personnelles. Parce que rien que le concept, je comprends pas. J'ai jamais pu faire mon taff, placidement, l'air de rien. C'est peut-être pour ça qu'on me refile toujours les cas bien compliqués. La Balistique ne m'a rien ramené de bien probant, rien qui puisse me faire avancer pour le moment du moins. Effar, il a parlé un peu, on a laissé filé quelques jours. Je me suis pointé chez lui, belle bibliothèque, beau salon, à ce que j'ai vu. Rien de tape-à-l'oeil. Ces deux-là n'avaient pas grand chose à prouver, je pense. Je lui ai demandé s'il savait que sa femme prenait des anti-dépresseurs et tout le toutim. Il est plus ou moins tombé des nues. Pareil pour les questions à la con, est ce que quelqu'un lui en voulait, la menaçait... De la connerie, tout ça. Forcèment, le pauvre, il en menait pas large. Surtout après avoir appris par quelqu'un que tu connais ni d'Êve ni d'Adam que ta femme, canardée quelques jours plus tôt, était à ce moment-là en pleine ascension vers le monde merveilleux et factice du bien-être chimique.

Tout le monde voulait lui parler, tout le monde avait appris. La plupart du temps, ils appelaient catastrophés. Mais que s'est-il passé? Comment? Pourquoi? Eux, ils cherchaient des réponses. Lui était resté coincé à un stade inerte d'hébétitude. Ca n'était pas vraiment du déni. Puisque, la seule phrase qui résonnait dans sa tête était : elle est morte, elle est morte. Bien entendu, il devait y avoir une explication à ça, et ça devait être important de savoir pourquoi et comment, et qui. Mais, si l'on veut répondre à certaines interrogations, il faut accepter que le temps continue d'avancer, et qu'on a une emprise directe dessus. Mais, elle, avait-elle laissé une quelconque trace? Elle avait existé et maintenant elle n'était plus. Il avait entendu l'inspecteur en charge de son dossier lui dire qu'elle s'était droguée. Alors peut-être qu'elle n'était déjà plus là un peu? Comment n'avait-il pu voir qu'elle était déjà en train de partir? Et puis, il y avait eu une secousse énorme : Connaîtriez-vous quelqu'un qui puisse lui en vouloir au point de l'assassiner? Et il avait réalisé que même s'il avait voulu la retenir, il n'aurait pas pu. Que rien n'aurait pu l'arracher à la mort. Quoiqu'il fasse. La main du flic s'était à nouveau posé sur son épaule. Comme le jour où il était allé à la Morgue. Non, il n'y avait rien qu'il eut pu faire pour éviter sa mort... Mais, s'il pouvait juste savoir qui et comment...

Quand tu joues à la roulette russe, à un moment ou à un autre, ça finit toujours par te retomber dessus. Partir de ce principe, ç'est même pas essentiel, c'est vital. J'ai vu pas mal de types s'enfoncer sur un coup de tête. Y'a pas grand chose à en dire, soit ils étaient frappés, soit ils étaient complètement cons. Le mec qui a tué cette nénette, il est loin d'être con. Mais il doit être bien taré pour jouer à la roulette russe sur les autres. Je crois pas pour autant que ce meurtre ne soit que le fruit du hasard.
Et, ça, c'est bien ce qui me chiffonne.

Fourth Hour

Il était arrivé tôt le lendemain matin. Dans un brouillard constant, penché sur lui-même, retranché diraient certains. Cette furieuse impression qui ne le quittait plus qu’il était seul au milieu de nulle part, et que ce qu’il voyait autour de lui n’avait plus aucun sens. Que les règles qui lui avaient parue toute sa vie très claires, avaient changée, et qu’il n’y pouvait plus rien. Que ça ne dépendait même pas de lui.Elle n’était pas rentrée hier soir. Il été passé au Commissariat.


Un gars lui avait parlé. Il ne se souvenait plus de ce qu’il lui avait dit. Ca n’avait pas d’importance de toute façon. Il lui avait posé des questions. Il avait répondu machinalement. Et il ne savait même plus quoi. Il se demandait même s’il n’était pas entrain de rêver, de faire un de ces cauchemars qui vous clouent sur place et qui vous réveillent au cours de la nuit, vous laissant en sueur, le cœur battant à toute vitesse. Et là, dans cette pièce qui sentait les désinfectants et l’humidité, il regardait le visage de celle qui devait être sa femme. Il ne savait plus. On aurait dit quelqu’un d’autre. Ou quelque chose d’autre. Trop blanche, trop statique. Son visage ne semblait pas être le même. Il doutait. Et pourtant, il connaissait ces traits. Il aurait voulu être sur. Mais être sur, c’était admettre que ce qu’il avait devant lui, c’était sa femme.


Je regardais Effar derrière la porte vitrée de la Morgue depuis un bon moment. Je ne pense pas qu’il sache que je suis encore la. Il n’est pas encore monté et le Doc semble guetter la redescente. A force de voir les gars s’effondrer, on dirait qu’il est pressé de passer au suivant. Ca doit donner l’impression que les journées sont plus courtes, ou que ce n’est qu’un détail de plus. Chacun encaisse à sa façon le monde dans lequel on vit.Visiblement elle, elle avait un peu de mal à encaisser. Les anxiolytiques, c’était sûrement pas pour de grosses migraines. Et son mari était bien parti pour prendre le relais.Faudra bien qu’il se remette. J’avais des questions à lui poser. La Balistique pourrait me donner des infos dans quelques heures. En attendant, fallait reprendre les choses à l’ancienne.

J’ai allumé ma clope. Et j’ai attendu.


Il commençait à avoir froid. Ca lui remontait comme une décharge électrique tout au long de la colonne vertébrale. Et ça lui paralysait l’esprit. Il commença à se concentrer sur cette sensation. A suivre les frémissements de son propre corps. Il ne faisait rien pour les arrêter. Il en profitait, comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Une once de vie dans une pièce dédiée à la mort. Il se regardait entrain de se noyer en lui-même, et ça ne le dérangeait pas. Ca le frappa d’un coup. Il n’était plus lui-même et tout ça ne le concernait pas. Il s’en rendit compte. C’était bien elle. Il approcha sa main de son visage. Doucement comme au ralenti. Et il senti soudain une légère pression sur son épaule.


Putain, il faisait quoi le Doc. Effar allait la toucher, et pas au meilleur endroit. Une balle dans la tête, t’en sort pas tout propre. Et ce n’est pas parce que s’en avait l’air, que ça l’était. Il risquait d’avoir une sale surprise. En trois pas j’étais derrière lui, une main sur son épaule. Et là, il m’a regardé. Le regard d’un poisson agonisant sur le sable. Il venait de se rendre compte qu’il était pas tout seul. Je sais pas par où commencer dans cette affaire, mais je sais que je ne pourrais rien tirer du mari aujourd’hui. Les poissons morts, ça répond pas aux questions…

At The Third Floor

Tu les vois ici, on dirait des guèpes affolées . Ca court dans tous les sens. Si t'as pas l'oeil assez exercé, tu pourrais bien dire que çe ne sont que des constants mouvements parfois contraires, parfois pas. Ouais, on dirait une valse sous LSD. Mais, attention, ce petit monde ne brasse pas que du vide... Ils bossent tous pour quelqu'un ici. Y'a souvent des arrêts imprévus, ça donne le brouhaha quasi ininterrompu. Sauf quand y'a ce type d'histoires qui nous tombent dessus. Bien sûr, qui est-ce qui va se taper l'enquête? Moi. Paraît que j'ai les épaules. Après des années de service, je voudrais pas dire mais moi, je commence à m'essoufler. Des fois, je rêve de panneaux signalétiques en grève, et je m'imagine comme le chef d'orchestre de la vie routière. Mais, y'a pas à dire, même si je le voulais, ils me mettraient jamais à la circulation, je sais même pas si j'en aurais les compétences, de toute façon...
Toujours est-il que les premières choses à faire dans ce cas-là, c'est te poser cinq minutes, fumer une clope, pour laisser le truc se décanter un peu. Parce que là tu sais que tu t'attaques à quelque chose qui va devenir vite ardu. Il y a des évidences comme ça. La victime, une femme, brune, la trentaine passée, plutôt jolie encore, tuée d'une balle dans la tête. En pleine rue. Le souci, c'est que y'a vraiment rien qui explique le crime a priori. Elle semble juste avoir été stoppée dans sa marche comme ça, sans plus de raisons qu'une balle. Mais faut pas aller bien loin pour savoir qu'une balle doit toujours être tirée, et que faut bien quelqu'un pour appuyer sur la gachette. C'est pas bien sorcier. Mais c'est que y'a juste quelque chose de trop clinique, c'est trop bien fait, trop professionnel. Paraît que l'habit fait pas le moine, mais vu l'accoûtrement de la demoiselle et son casier plus vierge que je ne l'étais à ma première communion, j'ai du mal à l'imaginer fricoter avec ce genre de milieu.
P'tain, mon téléphone sonne.
-Ouais, Martigan, j'écoute.
-J'appelle de la part du Doc, j'ai le résultat des analyses pour Yolande Effar.
-Alors?
-Rien de notable, excepté qu'elle devait avoir pris un anxiolythique.
-Ouais, ça explique sûrement pourquoi elle souriait aux anges avant de se faire buter...
-On dirait bien, ouais. Bon, faut que je te laisse, je suis à la bourre sur le boulot.
-Tu diras à ton patron que je lui souhaite de joyeuses fêtes.
-Ok.
Plus tard, j'ai vu le mari, complètement sonné. L'expression sur son visage était sans équivoque, il était halluciné. C'est tout à fait le genre qui s'en remet pas. Ils passent trop de temps à réfléchir à ce que la perte de l'autre signifie. La vie continue mais autour de cette question centrale. Pourquoi? Je crois que si j'avais pas d'expérience, je réagirais pareil. J'en ai vu des visages défiler et des réactions de tous les goûts et de toutes les couleurs. Mais, là, faut dire que ça a bien fini de me convaincre d'une chose : rien de bien rationnel n'explique ce crime. Je le sens au fond de moi, c'est comme ça. Et je sens que ça va me remuer les tripes et les neurones pendant un bon moment, cette histoire. Mais, pour le moment, c'est Noël, alors je vais rentrer chez moi, fumer un joint, essayer de dormir quatre heures. Et puis, je vais essayer de pas rêver aussi.

Second Life

...
Comme quoi, tout le monde peut se tromper.
Elle n’irait plus bien, c’était désormais une certitude.
Il n’y aurait plus de Noël qui sentent les aiguilles de sapin et les bougies chaque année plus synthétiques. Plus de passé, de présent, d’avenir, auxquels se raccrocher.

Ca allait lui être difficile maintenant. Oui, bien plus difficile.

Le Doc, le disait : on pense moins bien avec une balle dans la tête. Et ça c’était indéniable.Le Doc trouvait que c’était dommage, elle lui semblait heureuse au moment ou on lui avait tiré dessus. Un sourire se dessinait encore sur son visage à elle. Vaut mieux mourir comme ça, qu’être malheureux jusqu’au bout, peut-être.
Mais on peut jamais être sur de rien en période de fêtes. Ils ont l’air malheureux toute l’année et avec trois ampoules bien placées, ils sont heureux comme des gamins.
Oui dommage pour elle, et dommage pour les gars qui la connaissait, ou qui disait la connaître. Coup dur pour Noël.
D’un geste calme et précis, il referma le sac. Elle prendrait place dans un des nombreux tiroirs qui seraient pleins d’ici quelques heures. C’était toujours comme ça aux alentours de la commémoration de la naissance du Christ. Une ribambelle de suicides, homicides et accidents en tout genre. Le moment ou les gens croyaient être immortels, et ou d’autres pensaient devoir leurs prouver le contraire. Quant ils ne se le prouvaient pas eux-mêmes.

Ouais, sale histoire. Et mariée avec ça. Pas d’enfants naturels, ça il pouvait au moins en être sur. On trouve toujours mieux comme cadeau de Noël que d’emmener les gosses à l’enterrement de leur maman.
Le plus dur se serait avec lui, le mari, le Doc connaissait déjà le topo. Incrédulité, acceptation, colère, incompréhension. Et puis viendrait le temps des questions. Les questions qui fâchent. Celles que l’on se pose après ça, et celles que l’on nous pose après ça. Des deux, il ne savait pas lesquelles sont les plus dures à avaler finalement. Mais ça, c’était plus son boulot. Il avait fait le sien. Et il lui restait encore des courses à faire pour ses enfants. Et cette année, il faudrait encore essayer de faire mieux que son ex-femme pour ne pas à avoir à supporter ses réflexions tout au long de l’année. Certains meurent et d’autres doivent continuer à vivre. C’est comme ça. Mauvaise soirée pour elle. Et en fermant la porte derrière lui, il se dit que la sienne pourrait être difficilement pire.


Il avait reçu un coup de téléphone au cours de la nuit. Il avait mal dormi, comme s’il présentait à l’avance ce qui allait se produire, ou peut être simplement parce que les volets avaient grincés. Apres coup, c’est si facile d’interpréter les signes comme on l’entend. Ca n’avait pas été aussi brutal qu’il l’avait imaginé, c’était tombé comme ça, comme une froide réalité. Comme si on ne parlait pas d’elle, mais d’une inconnue. Il lui semblait maintenant que ça ressemblait même à un de ses mauvais canulars que les adolescents montent quant ils sont en mal d’activité.Il avait l’impression que tout bougeait dans son esprit en demeurant toutefois parfaitement statique. Une véritable photographie mentale d’un instant, qui défile à toute vitesse. Etonnant pourtant ce concept.

Il n’arrivait pas malgré tout à se concentrer dessus. Il avait du vérifier à plusieurs reprises qu’elle n’était pas rentrée. Que son sac n’était pas jeté nonchalamment sur un des fauteuils comme à son habitude. Que ses chaussures ne traînaient pas dans l’entrée. Et même face à l’absence de tous ces signes de retour tardif, il n’arrivait pas à y croire.

Il devrait passer le lendemain. Au Commissariat et à la Morge. Histoire de vérifier. C’est ce qu’on lui avait dit. Et il fallait qu’il vérifie. Il n’était pas du genre à faire confiance à un coup de téléphone. Apres tout, elle allait peut être rentrer à tout moment, gênée de son retard et de l’inquiétude qu’il avait pu éprouver. C’était peut être une erreur. Et il restait là, à regarder le mur, laissant s’égrener les heures, attendant son retour, ou peut être le lendemain.

Lui-même ne le savait pas …

lundi 18 décembre 2006

First Corpse

Cette année, elle est en marge. Suite logique. Les cartes battent, on redistribue les émotions. Elle joue avec ce qu'elle a, c'est-à-dire pas grand chose. Elle sait ce qu'est Noël ou du moins elle croyait savoir. Les lumières qui scintillent, les gens qui se bousculent presque harmonieusement, les mains gelées et les gants que l'on achète à la va vite, on aura déjà perdu l'un d'eux d'ici quelques semaines. Elle pense au thé brûlant sur le coin d'une table de bar, elle pense à la buée quand on respire ou quand on parle. L'esprit de Noël, c'est l'ennivrement de l'excès et peut-être pour une fois, ça n'est pas foncièrement douloureux. Il y a une sorte de demi-conscience, écrasée par la nostalgie, pressée de chaleur humaine, c'est reconcquérir un confort, une confiance candide dans une réalité soudainement altérée, qui peut enfin l'héberger. On joue les gammes du plaisir alors qu'est ce que tu voudrais? et de l'attente frustrée s'il-te-plaît, dis moi ce que c'est..., on affiche une bonhomie bienveillante berk, j'aime pas les fruits de mer, je suis fâchée avec ma soeur depuis des mois, comment ça va se passer?
Ca passe, ça dépasse, des fragments de voix et de rire, des enfants dépités par tant de guilletterie, qui voudraient bien dormir, ça ferait venir le Père Noël plus tôt.
Cette année, il n'y aura rien de tout ça. Dans les magasins, les gens s'arrachent les futurs cadeaux d'entre leurs mains, les enfants ne sont que des adultes miniatures avides et perfides, et rien qu'à l'idée de manger, la sueur perle sur son front, elle a envie de vomir. Les guirlandes et les installations lumineuses des mairies de n'importe quelle ville peuvent bien briller, elle, elle sait bien qu'elle est éteinte, à l'intérieur. Elle s'observe, elle observe le vide laissé en elle par l'absence de ces émotions pourtant si bien rodées, huilées, si... naturelles. Elles ont abandonné derrière elle, comme une mer refluant après une marée montante, les traces de leurs venues précédentes, de bris de verre en coquilles vides, elle constate les dégats sans trop oser déblayer. Et si l'un de ces vestiges détenait la clé de sa renaissance? Il faudrait rassembler et en découvrir le secret... Ou simplement le sens. Et brutalement, elle se souvient, cette angoisse qui la saisit et qui la déchire, cette sensation poussée à l'extrème d'absurdité... De la vanité des choses. Ca la serre et ca la secoue et des fois elle se raccroche tellement à cette sensation de perte qu'elle a l'impression qu'on l'entend penser. La peur se répand et fait tournoyer ses pensées encore et encore, obsessionnellement. Elle plonge en elle-même si profondèment et ce sans s'en rendre compte que parfois ceux qui l'entourent lui demandent subitement si elle va bien. Elle s'efforce de rester vivante. Donne le change avec sincérité, comme elle le fait, toujours; comme elle l'a toujours fait.
Et puis, dans un sourire presque dénué d'ironie, elle se dit que peut-être, ça lui passera bien avant que ça ne vous reprenne...