lundi 12 février 2007

Ten Bucks

Le regard que me rendit Castel à ce moment là, je le connaissais. Fin de l’interrogatoire routinier d’un éventuel amant auto-flagellateur. Ce gars avait autre chose de plus sérieux à me dire, le genre de truc qui commence par « Vous savez, c’est plus compliqué que ça… »…
Et la porte s’ouvrit avec un enthousiasme si communicatif qu’il renvoya ma réponse cruciale quelque part dans les talons de mon invité affolé. Devant moi, frais comme un gardon, fier comme un espadon, Jenkins, le bleu du second… à la main, le post-it rose, glorieusement arraché de la main du petit planton dans un débordement de zèle viril genre « j’sais c’qu’est important, moi, pousse-toi p’tit gars ». J’ai cru que j’allais le flinguer.


Le Doc s’avança lentement dans le « nuée ». C’était comme ça que son chef d’Internat avait eu l’habitude de l’appeler, et les vieilles habitudes ont toujours la peau dure, surtout celles qu’on n’aime pas. Mais l’activité qui se déploie autour d’un cadavre tout frais, la crim’, les cordons, les photos, la horde de curieux et tout le reste, fallait bien admettre que ça avait quand même quelque chose de bourdonnant…
En dix secondes, le Doc put déjà dire que Martigan n’allait vraiment pas aimer ça ; en dix minutes, il sut qu’il faudrait faire la sempiternelle battue aux témoins parce que c’était récent, même si on n’en trouverait probablement pas un seul dans cette foutue ville en cherchant pendant dix ans… Et puis il y eut le billet de dix.


Je fulminais encore quand je lâchai enfin la grappe à Jenkins. J’étais pas sûr du tout d’avoir réussi à rattraper le coup avec Castel ; l’envoyer tout cool se chercher un café, l’air de rien, comme pour lui laisser son temps pour raconter son histoire, ouais, rien ne presse mec… J’admets, pas brillant, mais c’est ce que j’ai trouvé de plus subtil sur le coup. Mon deuxième exploit olympique question subtilité, ça a été de pas coucher Jenkins d’un bon direct du gauche sitôt la porte fermée. Je l’ai même laissé balancer sa si urgentissime urgence qu’elle vaille la peine de débouler en plein interrogatoire sans frapper, le sourire niais et bavotant figé sur sa face de porcelet sudiste. Ok, elle a failli me calmer net, mais c’est remonté presque aussi sec. Le numéro du gentil flic m’avait un peu porté sur les nerfs, et du coup j’ai rattrapé mon retard. Bah, il s’en remettra. Et puis, c’était vraiment con, quand même. Oui, il s’en remettra….
Maintenant, Castel. En espérant qu’il soit pas passé au stade huître normande maintenant qu’il a eu la trouille de sa vie… enfin de sa nouvelle vie. Oups, stop Martigan, tu retournes voir Castel, planque-moi ce cynisme avec tes chaussettes sales, sur le champ…
Bon, il est en bas, près de la machine à café. A première vue, on dirait que ça va. Plus qu’à descendre le récupérer tout en douceur et… Merde, le téléphone maintenant ! Sale manie de le rallumer dès que je sors de la salle carrelée ! Et c’est le Doc. Coup d’œil sur Castel. Bon, on dirait que ça lui fait du bien d’avoir deux minutes en fait. Je décroche.

- Doc.
- Martigan, c’est bon, on vous a prévenu ?
Souvenir doux-amer de ma mise au point avec Jenkins…
- Ouais, c’est bon. Alors c’est la même signature ?
- A première vue, je dirais que oui Martigan. Evidemment, dès qu’on aura la balle…
- Qu’ils se magnent pour la trouver, dites leur ça de ma part. On a l’identité ?
- Négatif. Pour l’instant, un John Doe dans la trentaine. En fait à première vue, ça ressemblerait presque à un braquage foiré… à un petit détail près
- Rien à voir avec les chaussures, par hasard Doc ?

Le Doc ne réussit pas à réprimer un petit sourire satisfait, juste pour lui-même.

- Non Martigan, mais content de savoir que ça vous tracasse vous aussi…
- Oui, Doc, ça me tracasse aussi. Si vous voulez bien accoucher maintenant ?


Ces flics, toujours les mêmes, dès qu’on y met le bout de son nez, ils vous envoient bouler dans la case suivante sans plus d’explications. Martigan était pressé, il devait avoir du nouveau de son côté. Mais non, encore une fois il lâcherait rien…

- Il a un billet de dix, dans sa main droite… Je devrai le faire nettoyer au labo pour avoir la totale, mais on dirait qu’on a griffonné dessus au marqueur…
Martigan soupira à l’autre bout du fil.
- Ce qui nous amène pour l’instant à un pauvre quidam qui s’est fait flinguer parce qu’il a voulu fourguer son billet pourri au braqueur… Qui sait, il a peut-être insisté ?
- Oui Martigan, très drôle… Vous savez, je vois pas encore tout ce qui est écrit sur ce billet, mais le fait qu’une ligne se termine par « Effar » vous intéressera peut-être davantage ?
Toute petite pause.
- Ok Doc. Prévenez-moi dès que vous avez quelque chose… quoi que ce soit.

Clic. Mais il avait au moins eu le mérite d’avoir été nettement plus humble et formel avant de raccrocher. Maintenant, il fallait emmener le corps. Et espérer que les gars retrouvent la balle, vite.



Le Doc passait déjà une nouvelle paire de gants, dans une sorte de mécanique inconsciente plus que par nécessité. En théorie, il ne retoucherait au corps qu’une fois à la morgue… Il avisa le petit jeune qui était chargé du brancard, visiblement plus occupé à regarder le cadavre qu’à l’embarquer. Oui, il regardait le billet de 10, froissé dans la main serrée. Et réalisa soudain que la proximité de son patron lui ôtait toute crédibilité médico-légale, eut égard à sa blouse blanche et son air de professionnel aguerri et indifférent.

- Woups, pardon Doc, j’m’y mets tout de suite. On dirait qu’il y a un truc d’écrit, sur le billet, vous avez vu ? Dommage qu’il ait autant saigné dessus, hein ?



Oui, au moins sur ça, le Doc ne pouvait qu’être d’accord… Dommage, en effet. Mais pas irrémédiable.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bon. Là, je suis un tantipoil vert de râge.

Comment? Quoi? On se met à écrire et on ne m'invite pas à lire? Encore moins à écrire de conserve avec mes partenaires préférés? Encore que Amiante soit sans aucun doute à l'origine de la chose.

Dommage. j'aurais bien aimé me méler à toute cette prose.
ça aurait pu êter chouette. Foutus regrets.