mardi 13 mars 2007

November 13, 2006

Hugo, je pourrais répêter votre nom mille fois. Dans ma tête, les deux syllabes se détachent pour se remarier ensuite à merveille...
Hugo... Cet après-midi passée ensemble à parler et à faire l'amour m'a redonnée foi.
Je crois que peut-être un jour, je pourrais m'en sortir.
Je ne peux pas oublier, mais cette intimité entre vous et moi, la façon dont j'existe à vos yeux me redonne espoir.
Je ne veux pas oublier qui je suis, ni ce que j'ai fait. Mais, vous ne me jugez pas, vous. Et peut-être qu'à un moment, je pourrais arriver à me regarder dans une glace sans me haïr profondèment...
Après vous avoir quitté, j'ai marché longtemps, je me suis perdue dans le tulmute des rues.
Je me sentais incroyablement calme, presque délivrée.
Hugo, j'ai cru voir les choses telles que vous, vous les voyez.
J'ai vu la beauté, l'innocence, j'ai vu leurs contraires aussi, en même temps. Tout n'apparaît que comme les deux facettes d'une même pièce.
Hugo, j'ai toujours son image gravée dans ma tête, elle ne me quitte pas. J'ai la sensation que je lui dois quelque chose, que je finirais bien par payer, à un moment ou à un autre.
Je sais que vous pensez que je me le fais bien assez payer déjà. Mais, je sais que vous me comprenez également...
Si j'osais l'affronter, peut-être que l'angoisse et le désespoir seraient moins forts.
Je crois que j'ai autant peur qu'elle me pardonne qu'elle ne me pardonne pas...
Hugo, je sais que je peux être un ange et un démon à la fois.
Et vous ne devriez pas pouvoir m'aimer comme vous le faîtes. Et je ne devrais peut-être pas être capable de ressentir ce que je ressens pour vous, et d'être ainsi si heureuse à vos côtés...

Lettre de Yolande Effar à Hugo Castel, 13 novembre 2006


vendredi 9 mars 2007

Twelfth Fag

Il me croyait coupable. J’en étais certain. Ce genre de certitudes que j’avais eu parfois en parlant à certains, cette certitude que certaines choses demeuraient cachées, non dites, parce que l’aveu causerait plus de problèmes qu’il n’apporterait de solutions . Cette discussion avec cet inspecteur n’avait rimé à rien, il cherchait absolument un coupable, je venais lui apporter des causes. Si je continuais à persévérer dans cette voie, jamais ils ne trouveraient. Et rares sont ceux qui trouvent sans faire l’effort de chercher. J’avais pensé qu’il pouvait comprendre, que le contact avec le Mal, ou quoi que se soit d’approchant, lui avait donné une vision rare. Peut être m’étais je trompé. Je ne sais pas encore si j’ai commis une erreur, peut être n’aurais-je pas du partir. Yolande, le reste, tout semblait n’être qu’un vague ensemble disséminé maintenant. J’avais froid, bien plus froid qu’auparavant. Mais quand il m’avait regardé pour la dernière fois, j’avais vu le doute s’insinuer en lui.


Je relisais cette foutue lettre. Encore et encore. Rien, pas un indice. Oui, il avait eu des relations avec Yolande Effar, mais je commençais à me dire que je voyais vraiment le mal partout. Pourquoi j’avais parlé de coucherie ? Il n’avait pas parlé de ça, la lettre non plus. Plus le genre à tomber amoureux et à mettre les choses en place si c’est sur. Ouais, plus son genre pour ce que j’en avais vu. Et maintenant un second macchabée. Et dire que je croyais tenir le bon bout avec l’entourage. Il faut vraiment que je me calme, dehors ils s’énervent et ils m’énervent. Ils le trouvent pas. Je m’en serais un peu douté. Je range la lettre, je prends quant même la carte qu’il a griffonnée à l’accueil.
Il faut que je voie le second corps. Là, ça urge vraiment.

Je l’aimais comme personne ne l’avait aimé auparavant. Là aussi, une certitude. La seule peut-être au milieu des doutes incessants qui m’assaillent. Je la connaissais mieux qu’elle ne se connaissait, j’acceptais ses défauts, j’appréciais ses qualités. Mais tout au long de cette relation que j’avais pu arracher au monde, je savais. Oui je savais qu’elle me cachait quelque chose. Un lourd secret. Quelque chose de dur, de sombre. Ce secret, elle ne voulait pas le partager. Et plus j’étais avec elle, plus je l’observais quand elle était inattentive, plus je savais. Oui, elle avait un visage d’ange, elle en avait l’apparence et l’attitude. Elle était si exceptionnelle, je l’aimais pour cela. Si seulement elle avait pu m’avouer son secret, les choses auraient été différentes. Peut être qu’elle ne serait pas morte aujourd’hui. Peut être aurais-je pu l’aider. Peut être n’aurais-je pas eu besoin de fuir aujourd’hui.


Des plombes que j’attends. J’allume une nouvelle clope, je regarde la fumée. Il va falloir que j’envoie des gars au domicile du prêtre. Sauf que je sais pas ou ça vit un prêtre. Et sur la foutue carte de l’accueil, c’est pas marqué. Son nom, son prénom, une belle écriture d’ailleurs. Arrondie mais fine. J’aurai dit que c’était une écriture de femme si je savais pas que c’était lui. Y a un truc qui me taraude avec cette carte. Et avec l’interrogatoire aussi d’ailleurs. Je commence à avoir mon idée et elle me plait pas beaucoup.
J’appelle le central pour qu’ils cherchent la baraque, et le mari, deux minutes après c’est réglé. Il a prévenu que la famille pour Yolande Effar. Même pas d’avis dans la presse. Mais Castel, savait. Ouais, il savait pour Yolande.
Il y a un truc pas net.
Le Doc m’avait refilé un dossier, le truc de base où on écrit les quatre trucs évidents de la scène du crime. Il avait été trouvé dans une petite rue, pas grand monde qui y passe. Le Doc pensait qu’il était mort il y à deux heures au plus. Il verrait si il pouvait affiner plus tard. Trentaine, soigné, des gars cherchaient à l’identifier. Pour l’instant rien. Pour le billet ça devrait être plus rapide. A force de regarder Les Experts on croit que c’est facile. Mais sang ça tache et ça tache sévère, et le billet, il avait l’air d’être sacrement taché. J’ai cette photo sous les yeux, avec ce billet à peine défroissé et encore taché. C’est marrant pour « Effar », c’est une jolie écriture pour un truc écrit au marqueur. J’allume ma douzième clope. Si le Doc continue de me faire attendre, il finira par devoir m’autopsier aussi. Putain de téléphone. Faut que je réponde avec ma clope dans une main, la carte et la photo dans l’autre et le tout avec des gants. Je fais tomber le téléphone de ma poche. Sur mon pied. Le truc qui fait mal mais qui doit faire marrer les gars qui payent le remplacement de nos téléphones tous les dix ans.
- Martigan.
- Inspecteur, on a eu un sacré coup de bol pour la deuxième victime !
Mais oui, un sacré coup de bol, on va voir si il en a un, de sacré coup de bol, si je le croise celui là. Etre aussi enthousiaste, c’est à la limite du malsain.
- Ah ouais ? Lui, je crois pas.
- …
- Bon alors !
- On a son identité, Monsieur.
J’agite mon pied, et je me dit que si il crache pas vite le morceau, le Doc aura toujours un gars en plus à autopsier avant moi. Lui par exemple.

- Un certain Hugo Castel, Inspecteur. On a aussi son adresse, et son numéro de téléphone.
Il sortait d’un pressing ou il avait une carte, la dame a pu le reconnaître. Il parait que c’est un prêtre… Mais je comprends pas, celui que vous cherchez c’est pas un pretr

Pas la peine d’écouter plus. Faut que je pense, vite, très vite.
C’est vrai que sur le billet , pour « Effar » c’est une jolie écriture pour un truc écrit au marqueur, arrondie mais fine. Ouais, j’aurais cru à une écriture de femme. Pareil pour la carte donnée à l'accueil. Si le vrai Castel est sur la table du Doc, je suis prêt à parier que le Castel du commissariat est aussi prêtre que moi.
Comme quoi on peut toujours se faire baiser.

lundi 5 mars 2007

Eleventh Command

Finis les coups de fil. Finis les interruptions. Finis les post-its roses. Maintenant, c'est du sérieux. Je veux que Castel se mette à table. Et qu'on ne vienne nous voir que pour nous apporter l'addition. Uniquement quand je l'aurais préalablement demandée. En attendant, il est à moi.

Sauf qu'il n'est plus là. Pas remonté de la machine à café. Pas à la machine à café. Pas en train de discuter avec le planton non plus. Bon sang de bonsoir, où est passé ce fichu défroqué? A peine le temps d'obtenir confirmation de ce que je craignais de la part du planton, il l'a effectivement vu disparaître par la porte, son café à la main, et il a même dit au revoir en partant. Poli et pétri de culpabilité. Sauf que je ne sais pas encore bien pourquoi, et que ça m'agace de l'avoir laissé filer. Quelqu'un va devoir payer pour ça, et ça va être Palozzi avec son sourire niais et sa veste en tweed vert moisi.

- PALOZZI!! hurlai-je. Tu embarques qui tu veux, mais tu me ratisses le quartier pour me remettre la main sur ce prête qui vient de sortir! C'est un témoin capital dans l'affaire Effar, et il s'est tiré!
- M'enfin patron, je viens de rentrer d'une constatation de saisie des douanes, ça fait onze heures que j'attends de pouvoir poser mon cul!
- Palozzi, soufflai-je la fumée au naseau, tu me ramène son cul dans mon bureau dans moins d'un quart d'heure, ou alors j'aurais le tien hors d'ici pour deux mois!
Un silence lourd de réflection s'éternisa entre nous pendant deux bonnes secondes avant que ce corniaud ne jappe à l'attention de quatre de ses collègues de venir l'aider à retrouver un cureton en cavale.
- Bon garçon, gromelai-je sans desserrer les mâchoires. Je remontai m'asseoir à mon bureau, histoire de refaire à l'envers le cours de cette conversation pour voir si je pouvais en tirer quelque chose qui me donne une piste de réflexion, en attendant que ce papiste sans parole ne vienne finir de me débiter ses salades. Ce VRP qui vendait de l'honnêteté et de la droiture et qui n'avait même pas un échantillon sur lui me fascinait. Il avait réussi à me faire croire que son acte de contrition était sincère. Peut-être que trop de temps s'était écoulé depuis ma dernière confession pour que je sois réellement à même de juger correctement.

Enfin parvenu à engoncer mon postérieur dans ce vieux fauteuil de cuir usé jusqu'à la trame, je relisais mes notes, la tête prise dans l'étau de mes deux mains, quand soudain, la lumière jaillit dans mon cerveau embrumé de caféine et de tabac. La lettre qu'il m'avait tendu et donnée à lire. Elle n'était peut-être pas partie avec lui. Peut-être l'avais-je posée quelque part sur ce bureau et au moment de sortir l'aurait-il oubliée. Ou alors l'avait-il laissée intentionnellement. Car sinon, quelle raison aurait-elle eue de se trouver pliée en deux, face au siège qu'il occupait?

Il me fallait à tout prix lire plus avant ce qu'il m'avait seulement laissé entrevoir, avant qu'il ne revienne. Ou en tout cas, que Palozzi revienne, et que je ne doive sortir son cul d'ici, pour l'exemple et pour me passer les nerfs.

"Tu aimeras ton prochain comme toi-même" Lévitique 19,18

lundi 12 février 2007

Ten Bucks

Le regard que me rendit Castel à ce moment là, je le connaissais. Fin de l’interrogatoire routinier d’un éventuel amant auto-flagellateur. Ce gars avait autre chose de plus sérieux à me dire, le genre de truc qui commence par « Vous savez, c’est plus compliqué que ça… »…
Et la porte s’ouvrit avec un enthousiasme si communicatif qu’il renvoya ma réponse cruciale quelque part dans les talons de mon invité affolé. Devant moi, frais comme un gardon, fier comme un espadon, Jenkins, le bleu du second… à la main, le post-it rose, glorieusement arraché de la main du petit planton dans un débordement de zèle viril genre « j’sais c’qu’est important, moi, pousse-toi p’tit gars ». J’ai cru que j’allais le flinguer.


Le Doc s’avança lentement dans le « nuée ». C’était comme ça que son chef d’Internat avait eu l’habitude de l’appeler, et les vieilles habitudes ont toujours la peau dure, surtout celles qu’on n’aime pas. Mais l’activité qui se déploie autour d’un cadavre tout frais, la crim’, les cordons, les photos, la horde de curieux et tout le reste, fallait bien admettre que ça avait quand même quelque chose de bourdonnant…
En dix secondes, le Doc put déjà dire que Martigan n’allait vraiment pas aimer ça ; en dix minutes, il sut qu’il faudrait faire la sempiternelle battue aux témoins parce que c’était récent, même si on n’en trouverait probablement pas un seul dans cette foutue ville en cherchant pendant dix ans… Et puis il y eut le billet de dix.


Je fulminais encore quand je lâchai enfin la grappe à Jenkins. J’étais pas sûr du tout d’avoir réussi à rattraper le coup avec Castel ; l’envoyer tout cool se chercher un café, l’air de rien, comme pour lui laisser son temps pour raconter son histoire, ouais, rien ne presse mec… J’admets, pas brillant, mais c’est ce que j’ai trouvé de plus subtil sur le coup. Mon deuxième exploit olympique question subtilité, ça a été de pas coucher Jenkins d’un bon direct du gauche sitôt la porte fermée. Je l’ai même laissé balancer sa si urgentissime urgence qu’elle vaille la peine de débouler en plein interrogatoire sans frapper, le sourire niais et bavotant figé sur sa face de porcelet sudiste. Ok, elle a failli me calmer net, mais c’est remonté presque aussi sec. Le numéro du gentil flic m’avait un peu porté sur les nerfs, et du coup j’ai rattrapé mon retard. Bah, il s’en remettra. Et puis, c’était vraiment con, quand même. Oui, il s’en remettra….
Maintenant, Castel. En espérant qu’il soit pas passé au stade huître normande maintenant qu’il a eu la trouille de sa vie… enfin de sa nouvelle vie. Oups, stop Martigan, tu retournes voir Castel, planque-moi ce cynisme avec tes chaussettes sales, sur le champ…
Bon, il est en bas, près de la machine à café. A première vue, on dirait que ça va. Plus qu’à descendre le récupérer tout en douceur et… Merde, le téléphone maintenant ! Sale manie de le rallumer dès que je sors de la salle carrelée ! Et c’est le Doc. Coup d’œil sur Castel. Bon, on dirait que ça lui fait du bien d’avoir deux minutes en fait. Je décroche.

- Doc.
- Martigan, c’est bon, on vous a prévenu ?
Souvenir doux-amer de ma mise au point avec Jenkins…
- Ouais, c’est bon. Alors c’est la même signature ?
- A première vue, je dirais que oui Martigan. Evidemment, dès qu’on aura la balle…
- Qu’ils se magnent pour la trouver, dites leur ça de ma part. On a l’identité ?
- Négatif. Pour l’instant, un John Doe dans la trentaine. En fait à première vue, ça ressemblerait presque à un braquage foiré… à un petit détail près
- Rien à voir avec les chaussures, par hasard Doc ?

Le Doc ne réussit pas à réprimer un petit sourire satisfait, juste pour lui-même.

- Non Martigan, mais content de savoir que ça vous tracasse vous aussi…
- Oui, Doc, ça me tracasse aussi. Si vous voulez bien accoucher maintenant ?


Ces flics, toujours les mêmes, dès qu’on y met le bout de son nez, ils vous envoient bouler dans la case suivante sans plus d’explications. Martigan était pressé, il devait avoir du nouveau de son côté. Mais non, encore une fois il lâcherait rien…

- Il a un billet de dix, dans sa main droite… Je devrai le faire nettoyer au labo pour avoir la totale, mais on dirait qu’on a griffonné dessus au marqueur…
Martigan soupira à l’autre bout du fil.
- Ce qui nous amène pour l’instant à un pauvre quidam qui s’est fait flinguer parce qu’il a voulu fourguer son billet pourri au braqueur… Qui sait, il a peut-être insisté ?
- Oui Martigan, très drôle… Vous savez, je vois pas encore tout ce qui est écrit sur ce billet, mais le fait qu’une ligne se termine par « Effar » vous intéressera peut-être davantage ?
Toute petite pause.
- Ok Doc. Prévenez-moi dès que vous avez quelque chose… quoi que ce soit.

Clic. Mais il avait au moins eu le mérite d’avoir été nettement plus humble et formel avant de raccrocher. Maintenant, il fallait emmener le corps. Et espérer que les gars retrouvent la balle, vite.



Le Doc passait déjà une nouvelle paire de gants, dans une sorte de mécanique inconsciente plus que par nécessité. En théorie, il ne retoucherait au corps qu’une fois à la morgue… Il avisa le petit jeune qui était chargé du brancard, visiblement plus occupé à regarder le cadavre qu’à l’embarquer. Oui, il regardait le billet de 10, froissé dans la main serrée. Et réalisa soudain que la proximité de son patron lui ôtait toute crédibilité médico-légale, eut égard à sa blouse blanche et son air de professionnel aguerri et indifférent.

- Woups, pardon Doc, j’m’y mets tout de suite. On dirait qu’il y a un truc d’écrit, sur le billet, vous avez vu ? Dommage qu’il ait autant saigné dessus, hein ?



Oui, au moins sur ça, le Doc ne pouvait qu’être d’accord… Dommage, en effet. Mais pas irrémédiable.

mardi 23 janvier 2007

Nine Month

Le Doc n’aimait pas quand les choses traînaient. Ce n'était pas dans sa conception des choses. Et des conceptions des choses, il en avait beaucoup. Si une affaire n'est pas résolue dans les 48 heures, c’est mauvais, très mauvais. Il passait son temps à le dire à son assistant. Pas qu’il aurait voulu être flic à la place des flics , non. Mais il aimait se dire qu’il faisait sa part du boulot et en plus selon certains, pas la plus ragoûtante. Lui, il s’en foutait. Mais quand même. L’inspecteur était pas passé à la morgue, et lui, il voulait savoir. Donc le coup du dossier à apporter, ça marchait toujours... Il était là depuis cinq minutes à parler au jeune flic de l’accueil qui avait les joues toutes roses comme s’il s’était pris des baignes. Et pas d’inspecteur Martigan en vue. Mais les stores étaient tirés dans son bureau, bon signe ça. Fallait bien qu’il continu à trouver quoi dire au planton pour gagner du temps. Les fêtes de Noël, ça , ça marchait toujours.

Je tire une cigarette de ma poche.
- On commence par où alors?
- Je ne sais pas comme vous voulez, je suppose...
- Vous la connaissiez depuis combien de temps?

Castel lève les yeux et regarde le néon, il continu à hésiter. Il se demande s’il va tout me dire, ou faire le tri. Si ça commence maintenant les histoires de tri, j’aurai pas fini pour les vacances d’août.

- Alors?
- Je crois qu’il vaut mieux que j’explique à ma façon...
- C’est vous qui m’avez dit qu’on y allait comme je voulais
- Je la connais.. je la connaissais d'avant son mariage, quand elle était au lycée, en fait. Mais je ne l’ai pas revue jusqu’il y à neuf mois.
- Coïncidence? Retrouvailles impromptues?

Faut que je me calme sinon je vais être encore cynique sans le vouloir.

- Elle avait appris... pour le séminaire et tout le reste.. et elle voulait des conseils.
- Le genre de conseils qu’il vaut mieux ne pas demander à son mari ?

Merde, ça me reprends, si je ne veux pas qu’il se bloque, faudrait peut être que j’arrête de lui rentrer dedans l’air de rien. Avec ce genre de gars, le seul truc qui marche c’est le numéro du gentil flic et du gentil flic.

- Le genre de conseils qui nécessite quelqu’un tenu par le secret de la confession surtout.
- Et maintenant il n’y a plus de secret de la confession ? Pas de délais comme pour les médecins?
- Non... et je ne suis plus prêtre qui plus est.
- Bon et alors?
- Au début elle n’a pas voulu me dire de quoi il s’agissait, pendant plus de quatre mois elle m’a posé des questions sur sa moralité. Elle se demandait si elle était quelqu’un de bien, si elle avait le droit de se sentir en sécurité. Je ne comprenais pas de quoi il s’agissait.
- Et maintenant ça vous parait clair?
- Pas totalement sinon je ne serais sans doute pas ici...
- Admettons...un point pour vous.
- Puis ça a commencé à changer...progressivement. J'avais constaté que ça n’allait pas du tout et je lui est dit qu’elle pouvait me voir en dehors des heures de confessions si elle voulait parler...Je ne pensais pas en mal.
- J’en doute pas.
- Je voulais juste l’aider...

Putain, quand il dit ça, on dirait qu’il est responsable de cinq ou six génocides tellement il a l’air coupable.. Si c’est un numéro qu’il me fait, il est trés bon.

- Elle a commencé à me dire qu’elle était sûre d’être suivie depuis quelques temps. Au début je me disais qu’elle était stressée ... que ce n’était pas bien sérieux.
- Mais ça l’était.
- Oui. Elle disait que son mari ne la prenait pas au sérieux, qu’il disait en riant que les belles femmes se font toujours suivre.
- Ce qui n’est pas faux en soit.

S’il doit me faire un résumé des neuf mois d’entretiens à ce rythme, je vais prendre un abonnement au Kebab du coin, et arrêter de payer mes factures pour m’installer ici.

- Puis un jour, je l’ai vu.

Tiens, ça ça réveille un peu.

- Qui?
- L’homme qui la suivait.
- Où?
- Il semblait attendre devant l’église. Et quand nous sommes sortis, il a attendu un peu, mais je l’ai revu à plusieurs reprises pendant notre promenade. Yolande ne voulait pas que j’aille lui parler.
- Pourquoi?
- Elle avait peur, elle disait que ça pouvait être dangereux.



Ça faisait un bon moment qu’il ne trouvait plus rien à dire au gars de l’accueil, et là il commençait à ressembler aux gars qui tapent l’incruste pour avoir des infos. Et justement c’était exactement ce à quoi il ne voulait pas ressembler. Sa visite était terminée pour aujourd’hui. Ça serait pour une prochaine fois. Si seulement Martigan pouvait lui glisser un mot de sa progression dans l’enquête. Les marques sur les chaussures, ça lui paraissait vraiment bizarre. C’est à cet instant là que son téléphone se mit à sonner.
Un nouveau mort par balle. En pleine tête, dans la rue. On l’attendait. Ca, c’était certain, ça n’allait pas plaire à Martigan.


Pourquoi cet abruti de l’accueil vient m’interrompre maintenant? Les stores baissés il sait pas ce que ça veut dire? a agiter son post-it rose comme ça, on croirait qu’il est en manque de Carnaval. Je l’ignore superbement, il finira bien par partir.


- Selon vous pourquoi?
- Justement, c’était bien ça le problème.... Elle ne savait pas. Elle avait commencé à s’apercevoir qu’elle était suivie peu avant qu’elle ne vienne me voir. Elle disait que l’homme ne l’approchait jamais, ne lui parlait jamais, qu’il restait là, sans rien dire à la regarder, comme si elle était coupable de quelque chose d’horrible.

Là je tiens peut être un bout de l’histoire. Mais pourquoi le planton ne se barre pas?? Faut pas que je me déconcentre. Là ça risque d’être important.

- Et c’était le cas?



samedi 30 décembre 2006

Eighth verse


Les prêtres on les voit plus à l’hôpital et dans les maisons de retraite, que dans des Commissariats. Et quand je vois l’effet de celui là sur les gars de la journée, je me dis qu’il me tarde qu’ils passent par la case sénior. Des que cet homme est arrivé, ils se sont tous calmé. Du dealer à la pute éméchée. Jésus se serait pointé qu’on aurait eu un effet similaire. Le double effet Noël et prêtre à l’accueil, ça te rappelle que t’as pas été vraiment chrétien ces dernier temps. Et le gars de l’accueil en rajoute une couche, avec ses « mon père » par ci, « mon père » par là… Et le pire c’est que le prêtre a l’air plus gêné qu’autre chose. Il me regarde un instant, et j’ai l’impression tenace, qu’ici finalement, c’est lui qui culpabilise le plus.
Un message gribouillé sur un morceau de papier crade à en-tête. Il est là, au sujet de l’affaire Effar. Je m’attendais à un psy, un amant, mais pas à un prêtre, je pense jamais que ces gars la ont une vie après l’office. Je fais dégager un bureau, le mien est déjà occupé. Je fais passer le mot. Je vais le voir, qu’il attende deux secondes à l’accueil.


Je n’avais jamais pénétré dans ce monde a part, ou l’on traite de l’extérieur ce que je tente de percer par la voie intérieure. Ou plutôt ce que je tentais de percer jusqu’il y a peu. Les mots de la lettre que j’avais écrite ce matin semblaient encore danser derrière mes yeux, et j’étais persuadé que le monde entier pouvait les lire. Mes fautes, ou mes égarements me paraissaient marqués sur mon visage, dans ma chair. Et ce jeune homme à l’accueil, si poli, si courtois, un peu trop empressé peut-être pour être vraiment tranquille avec lui-même, ne semblait pas se rendre compte que moi aussi, je luttais. Je jouais un rôle, celui qu’on attend de moi. L’homme tranquille qui vient parce que c’est nécessaire, qui n’a rien à se reprocher. Mais c’était difficile. Difficile à cause de ce regard posé sur moi depuis mon arrivée. Le regard d’un homme qui pouvait comprendre, ou au moins qui savait voir, ce qui est si rare de nos jours. Le regard que j’avais tenté d’avoir sur elle, dans les instants précieux que nous partagions. Le regard de cet homme pourtant, me déstabilisait plus qu’il ne me rassurait, je le savais, et je savais qu’il le savait. J’avais presque envie de sourire devant cette communication silencieuse, presque, car je voyais bien qu’il me serais difficile de lui cacher quelque chose. Et dévoiler les histoires d’autrui n’était pas vraiment dans mes habitudes. Ses histoires à elle, encore moins.


J’installe les chaises, je pousse les papiers. Dans cette époque ou l’informatique fait loi, et ou on se fout de notre gueule pour notre vitesse de frappe, je préfère encore sortir un carnet pour prendre des notes que de me laisser avoir par le ridicule.
Il est devant la porte. D’un geste je lui fais signe d’entrer.
- Inspecteur Martigan, vous êtes la pour l’affaire Effar ?
Il me tend la main, un sourire bref. Une légère hésitation.
- Hugo Castel, j’étais le confesseur de Yolande.
Je reste silencieux. En général, c’est plutôt difficile de faire parler un prêtre, secret de la confession et tout ce qui va derrière. Il me tend un papier, c’est une lettre. Je commence à la parcourir en lui désignant la chaise devant moi. Apres ma lecture, je commence à comprendre.
- Elle a été postée ce matin.
- Et je suppose que les « relations contraire à votre fonction » concernent Mme Effar ?


Je me demande ce que j’espère de cet entretien. J’avais apporté la lettre, peut être plus parlante sur certains points que ce que j’aurais pu dire. Mais là, l’Inspecteur me surprenait. Pas une once de surprise. Il me regarde, et ne parait même pas étonné. Comme si c’était tout ce qu’il y avait de plus normal. Comme si le fait que je me sois éloigné de Dieu, de ma fonction, que je sois parjure avec mon serment, était naturel, dans l’ordre des choses. Je crois que notre communication silencieuse le dérange, comme elle me dérange, il cherche le dialogue verbal, pour entendre ce qu’il sait déjà. Et je ne suis pas sur de pouvoir prononcer les mots qu’il veut entendre. Je m’assois. Et je le regarde. J’attends la question fatidique, elle tombe. Et je sais qu’à cet instant, je scelle quelque chose à nouveau, tout comme quand j’ai rédigé et posté la lettre ce matin. Je concrétise, je rends tangible mes craintes, mes doutes. Je dépose ma Foi, pour aller vers des chemins que je ne connais plus. J’ai peur, peur pour moi, peur de moi, peur de ce que je sais d’elle, ce qui a échappé au reste du monde. Et j’ai peur aussi, car je vais devoir partager tout cela. Parce que je n’ai plus le choix. Parce que l’échange profond que j’ai eu avec elle de son vivant, ne peut pas en rester là. Parce que parler avec cet inspecteur va faire revivre quelques instant Yolande, ses angoisses et sa perception du monde. Et le « nous » qu’il n’y aurait jamais du avoir.
Je m’entends prononcer le oui. La discussion risque de durer longtemps.

"Il n'était pas lui-même la lumière, mais sa mission était d'être le témoin de la lumière". Jean, chapitre un, verset huit.

jeudi 28 décembre 2006

The Seventh Sin

Les gens ne diront jamais assez ce qu'ils pensent, j'imagine. Combien de démons intérieurs pourraient être combattus si l'on les mettait simplement en lumière? On se rendrait compte que finalement ils n'ont rien de diabolique... C'est une question de maîtrise.
Mais, quand tu enterres quelqu'un qui venait te voir régulièrement, qui se confiait à toi, qui essayait de voir la lumière en lui-même, il y a quelque chose d'horrible qui fait surface.
Oui, quelque chose comme l'impuissance et comme la vanité de toutes choses.
Qu'on avance en faisant face à soi-même ou non, la fin, l'issue sont toujours les mêmes.
Combien la mort est brutale, le pourquoi aussi finalement ne font pas sens.
En tant que prêtre, c'est ce que j'ai appris à l'enterrement de Yolande.
Quelle leçon tirer de tout cela?
L'absurdité peut prendre pas sur la foi à n'importe quel moment.
Et la vague de questions sans réponse, de questions posées en de mauvais termes font leur intrusion et effritent doucement ce sur quoi quelques instants auparavant tu te reposais de tout ton poids, sans redouter que cela rompe.
Il n'y a pas de doutes sur le fait que j'étais très attachée à elle. Elle était touchante, trop intelligente, trop sensible. Elle lançait tous ces efforts pour surmonter ça, trouver Dieu, se trouver elle-même. Ca ressemblait vraiment à un mode d'emploi pour survivre : si je veux aller bien, je dois faire ça, je dois faire ci. Il le faut. S'en sortir, coûte que coûte et vivre quoiqu'il arrive. Bien sûr, elle portait un trop lourd poids pour ses épaules, ce secret épouvantable...
En parler lui faisait du bien, mais il restait cette notion expiatoire : le fait de s'en sentir soulagée quelques instants la replongeait à nouveau dans une immense culpabilité.
Comme si cesser une seconde de considérer qu'elle n'était pas un monstre allait faire d'elle un véritable monstre.

Bien sûr qu'avec Yolande, nous avions des rapports qui allaient en l'encontre de mon statut. Et cela n'arrangeait pas les choses. Ce qui explique aussi peut-être pourquoi je me sens tant responsable de sa mort. Même s'il ne s'agit pas d'un suicide.
Depuis qu'elle est partie, il y a ce poison distillé dans mes veines, cette panique immense. J'aurais beau avoir l'air détaché, il va falloir que je prenne les choses en main. Que je m'affronte à mon tour.
Lorsque le service funèbre sera terminé, j'enverrai ma lettre. Et j'irai à la police trouver la personne qui s'occupe de l'enquête. Je peux aider, je dois aider.
Ne plus porter l'habit de prêtre sera quelque chose de très étrange pour moi.
Ne plus porter Dieu en moi l'est déjà tout autant.

samedi 23 décembre 2006

Six, little marks…


Il n’avait pas pu dormir ces dernier temps. Sa sœur lui avait dit que c’était normal. Que ça passerait. Comme la douleur. Le Commissaire ne lui avait pas posé plus de questions. Il lui avait foutu la paix. Et lui qui croyait que le mari était toujours le principal suspect… Il avait demandé un congé maladie. Il ne savait même pas pourquoi. Il tournait en rond dans son appartement, remettant de l’ordre alors que tout était déjà rangé. Sa sœur voulait passer emballer les affaires. Mais Yolande n’était pas encore enterrée. Il avait refusé.

Au fond de lui il se demandait s’il avait vraiment connu sa femme. Il regardait à nouveau les affaires qui lui appartenaient. Il remarquait certains détails qui lui avaient échappé. Rien qui pourrait expliquer sa mort. Des choses qui pouvaient expliquer sa vie. Ce qu’elle était. Qui elle était.Il avait trouvé l’endroit où elle cachait ses anxiolytiques. Traitement des angoisses aiguës. Il n’avait pas remarqué. Il n’y avait pas eu de signes. Pas d’appel à l’aide. Rien.
Il avait renversé son flacon de parfum. Elle en avait changé. Il n’avait pas remarqué.
Trop de choses qu’il ne voyait plus depuis longtemps. Ce qui se passe quand le couple prend un air d’acquis.
Il finit par sourire, un de ces sourires tristes, d’où aucune chaleur ne perce. L’inspecteur finirait par mieux connaître Yolande que lui. Parce que Martigan, prenait la peine de la regarder à nouveau.
Lui visiblement, avait oublié de le faire pendant trop longtemps.



A force de regarder ces putains de photos, j’en avais mal aux yeux. Ils ne penseraient jamais à changer ces saletés de néons. Allumés de jour comme de nuit, à te vriller les nerfs optiques pour te rappeler comme c’est bon de servir la justice. Merci du cadeau Messieurs les Elus, oubliez moi pour Noël. On m’a déjà offert un cadeau cette année. Et justement ce cadeau je l’ai sous les yeux.

Le gars de la photo c’était excité sur son appareil. Mais il ne manquait rien. On voyait tout, même ce qui ne servirait probablement pas. Son sac renversé, ses clefs encore à la main. Son vernis à ongle écaillé à certains endroits. Et six petites marques bizarres à l’avant de chacune de ses chaussures vernies. Des chaussures de princesse. Le genre de truc que les gamines veulent avoir quand elles ont dix ans, qu’elles finissent par oublier pendant vingt ans et qu’elles achètent des qu’elles ont les moyens. Avec un tas de justifications en plus de ça. Ouais je me plante pas. Six petites marques parallèles, là, sur le devant de ses deux chaussures. Et du récent avec ça, j’en mettrais ma main à couper. Le labo doit pas tarder à m’envoyer les résultats. En attendant, faudra voir ça avec le mari.

Je me retape le rapport d’autopsie simplifié. Le truc que me pond le Doc pour que je comprenne tout. La balle qui l’a tuée, un neuf millimètres. Efficace. Même pas entre les deux yeux. On casse le cliché, pas d’épisode télé sur cette affaire. Entrée propre, la sortie un peu moins. Valait mieux pas qu’il la touche, c’est sur. Son mari m’a donné les doubles des clefs de sa femme. Quatre en tout de son côté. Mais six sur la dame. Encore un truc qui colle pas. Le nombre six revient. Et je sais que ça n’a aucun rapport. Mais faut bien se raconter des histoires pour essayer de comprendre l’histoire.

J’ai du contacter ses parents, ils m’attendent à côté. Je devrais pas trop traîner, mais j’ai pas envie de revoir encore et encore le même regard d’espoir quand je passe le seuil de la porte. Les regards qui attendent des réponses, qui attendent des explications. Pour pouvoir accepter l’inacceptable. J’ai rien à leur donner, pas un début de piste. Pas l’ombre d’un suspect. Ouais, ils vont être sacrements déçus. Ils pourront peut être me dire pourquoi elle tournait à l’antidépresseur. Et avec de la chance, le nom du psy qui lui a prescrit. Ca serait déjà un début.

mardi 19 décembre 2006

Five Little Fingers

Je fais jamais de mes enquêtes des histoires personnelles. Parce que rien que le concept, je comprends pas. J'ai jamais pu faire mon taff, placidement, l'air de rien. C'est peut-être pour ça qu'on me refile toujours les cas bien compliqués. La Balistique ne m'a rien ramené de bien probant, rien qui puisse me faire avancer pour le moment du moins. Effar, il a parlé un peu, on a laissé filé quelques jours. Je me suis pointé chez lui, belle bibliothèque, beau salon, à ce que j'ai vu. Rien de tape-à-l'oeil. Ces deux-là n'avaient pas grand chose à prouver, je pense. Je lui ai demandé s'il savait que sa femme prenait des anti-dépresseurs et tout le toutim. Il est plus ou moins tombé des nues. Pareil pour les questions à la con, est ce que quelqu'un lui en voulait, la menaçait... De la connerie, tout ça. Forcèment, le pauvre, il en menait pas large. Surtout après avoir appris par quelqu'un que tu connais ni d'Êve ni d'Adam que ta femme, canardée quelques jours plus tôt, était à ce moment-là en pleine ascension vers le monde merveilleux et factice du bien-être chimique.

Tout le monde voulait lui parler, tout le monde avait appris. La plupart du temps, ils appelaient catastrophés. Mais que s'est-il passé? Comment? Pourquoi? Eux, ils cherchaient des réponses. Lui était resté coincé à un stade inerte d'hébétitude. Ca n'était pas vraiment du déni. Puisque, la seule phrase qui résonnait dans sa tête était : elle est morte, elle est morte. Bien entendu, il devait y avoir une explication à ça, et ça devait être important de savoir pourquoi et comment, et qui. Mais, si l'on veut répondre à certaines interrogations, il faut accepter que le temps continue d'avancer, et qu'on a une emprise directe dessus. Mais, elle, avait-elle laissé une quelconque trace? Elle avait existé et maintenant elle n'était plus. Il avait entendu l'inspecteur en charge de son dossier lui dire qu'elle s'était droguée. Alors peut-être qu'elle n'était déjà plus là un peu? Comment n'avait-il pu voir qu'elle était déjà en train de partir? Et puis, il y avait eu une secousse énorme : Connaîtriez-vous quelqu'un qui puisse lui en vouloir au point de l'assassiner? Et il avait réalisé que même s'il avait voulu la retenir, il n'aurait pas pu. Que rien n'aurait pu l'arracher à la mort. Quoiqu'il fasse. La main du flic s'était à nouveau posé sur son épaule. Comme le jour où il était allé à la Morgue. Non, il n'y avait rien qu'il eut pu faire pour éviter sa mort... Mais, s'il pouvait juste savoir qui et comment...

Quand tu joues à la roulette russe, à un moment ou à un autre, ça finit toujours par te retomber dessus. Partir de ce principe, ç'est même pas essentiel, c'est vital. J'ai vu pas mal de types s'enfoncer sur un coup de tête. Y'a pas grand chose à en dire, soit ils étaient frappés, soit ils étaient complètement cons. Le mec qui a tué cette nénette, il est loin d'être con. Mais il doit être bien taré pour jouer à la roulette russe sur les autres. Je crois pas pour autant que ce meurtre ne soit que le fruit du hasard.
Et, ça, c'est bien ce qui me chiffonne.

Fourth Hour

Il était arrivé tôt le lendemain matin. Dans un brouillard constant, penché sur lui-même, retranché diraient certains. Cette furieuse impression qui ne le quittait plus qu’il était seul au milieu de nulle part, et que ce qu’il voyait autour de lui n’avait plus aucun sens. Que les règles qui lui avaient parue toute sa vie très claires, avaient changée, et qu’il n’y pouvait plus rien. Que ça ne dépendait même pas de lui.Elle n’était pas rentrée hier soir. Il été passé au Commissariat.


Un gars lui avait parlé. Il ne se souvenait plus de ce qu’il lui avait dit. Ca n’avait pas d’importance de toute façon. Il lui avait posé des questions. Il avait répondu machinalement. Et il ne savait même plus quoi. Il se demandait même s’il n’était pas entrain de rêver, de faire un de ces cauchemars qui vous clouent sur place et qui vous réveillent au cours de la nuit, vous laissant en sueur, le cœur battant à toute vitesse. Et là, dans cette pièce qui sentait les désinfectants et l’humidité, il regardait le visage de celle qui devait être sa femme. Il ne savait plus. On aurait dit quelqu’un d’autre. Ou quelque chose d’autre. Trop blanche, trop statique. Son visage ne semblait pas être le même. Il doutait. Et pourtant, il connaissait ces traits. Il aurait voulu être sur. Mais être sur, c’était admettre que ce qu’il avait devant lui, c’était sa femme.


Je regardais Effar derrière la porte vitrée de la Morgue depuis un bon moment. Je ne pense pas qu’il sache que je suis encore la. Il n’est pas encore monté et le Doc semble guetter la redescente. A force de voir les gars s’effondrer, on dirait qu’il est pressé de passer au suivant. Ca doit donner l’impression que les journées sont plus courtes, ou que ce n’est qu’un détail de plus. Chacun encaisse à sa façon le monde dans lequel on vit.Visiblement elle, elle avait un peu de mal à encaisser. Les anxiolytiques, c’était sûrement pas pour de grosses migraines. Et son mari était bien parti pour prendre le relais.Faudra bien qu’il se remette. J’avais des questions à lui poser. La Balistique pourrait me donner des infos dans quelques heures. En attendant, fallait reprendre les choses à l’ancienne.

J’ai allumé ma clope. Et j’ai attendu.


Il commençait à avoir froid. Ca lui remontait comme une décharge électrique tout au long de la colonne vertébrale. Et ça lui paralysait l’esprit. Il commença à se concentrer sur cette sensation. A suivre les frémissements de son propre corps. Il ne faisait rien pour les arrêter. Il en profitait, comme s’il s’agissait de quelqu’un d’autre. Une once de vie dans une pièce dédiée à la mort. Il se regardait entrain de se noyer en lui-même, et ça ne le dérangeait pas. Ca le frappa d’un coup. Il n’était plus lui-même et tout ça ne le concernait pas. Il s’en rendit compte. C’était bien elle. Il approcha sa main de son visage. Doucement comme au ralenti. Et il senti soudain une légère pression sur son épaule.


Putain, il faisait quoi le Doc. Effar allait la toucher, et pas au meilleur endroit. Une balle dans la tête, t’en sort pas tout propre. Et ce n’est pas parce que s’en avait l’air, que ça l’était. Il risquait d’avoir une sale surprise. En trois pas j’étais derrière lui, une main sur son épaule. Et là, il m’a regardé. Le regard d’un poisson agonisant sur le sable. Il venait de se rendre compte qu’il était pas tout seul. Je sais pas par où commencer dans cette affaire, mais je sais que je ne pourrais rien tirer du mari aujourd’hui. Les poissons morts, ça répond pas aux questions…