samedi 30 décembre 2006

Eighth verse


Les prêtres on les voit plus à l’hôpital et dans les maisons de retraite, que dans des Commissariats. Et quand je vois l’effet de celui là sur les gars de la journée, je me dis qu’il me tarde qu’ils passent par la case sénior. Des que cet homme est arrivé, ils se sont tous calmé. Du dealer à la pute éméchée. Jésus se serait pointé qu’on aurait eu un effet similaire. Le double effet Noël et prêtre à l’accueil, ça te rappelle que t’as pas été vraiment chrétien ces dernier temps. Et le gars de l’accueil en rajoute une couche, avec ses « mon père » par ci, « mon père » par là… Et le pire c’est que le prêtre a l’air plus gêné qu’autre chose. Il me regarde un instant, et j’ai l’impression tenace, qu’ici finalement, c’est lui qui culpabilise le plus.
Un message gribouillé sur un morceau de papier crade à en-tête. Il est là, au sujet de l’affaire Effar. Je m’attendais à un psy, un amant, mais pas à un prêtre, je pense jamais que ces gars la ont une vie après l’office. Je fais dégager un bureau, le mien est déjà occupé. Je fais passer le mot. Je vais le voir, qu’il attende deux secondes à l’accueil.


Je n’avais jamais pénétré dans ce monde a part, ou l’on traite de l’extérieur ce que je tente de percer par la voie intérieure. Ou plutôt ce que je tentais de percer jusqu’il y a peu. Les mots de la lettre que j’avais écrite ce matin semblaient encore danser derrière mes yeux, et j’étais persuadé que le monde entier pouvait les lire. Mes fautes, ou mes égarements me paraissaient marqués sur mon visage, dans ma chair. Et ce jeune homme à l’accueil, si poli, si courtois, un peu trop empressé peut-être pour être vraiment tranquille avec lui-même, ne semblait pas se rendre compte que moi aussi, je luttais. Je jouais un rôle, celui qu’on attend de moi. L’homme tranquille qui vient parce que c’est nécessaire, qui n’a rien à se reprocher. Mais c’était difficile. Difficile à cause de ce regard posé sur moi depuis mon arrivée. Le regard d’un homme qui pouvait comprendre, ou au moins qui savait voir, ce qui est si rare de nos jours. Le regard que j’avais tenté d’avoir sur elle, dans les instants précieux que nous partagions. Le regard de cet homme pourtant, me déstabilisait plus qu’il ne me rassurait, je le savais, et je savais qu’il le savait. J’avais presque envie de sourire devant cette communication silencieuse, presque, car je voyais bien qu’il me serais difficile de lui cacher quelque chose. Et dévoiler les histoires d’autrui n’était pas vraiment dans mes habitudes. Ses histoires à elle, encore moins.


J’installe les chaises, je pousse les papiers. Dans cette époque ou l’informatique fait loi, et ou on se fout de notre gueule pour notre vitesse de frappe, je préfère encore sortir un carnet pour prendre des notes que de me laisser avoir par le ridicule.
Il est devant la porte. D’un geste je lui fais signe d’entrer.
- Inspecteur Martigan, vous êtes la pour l’affaire Effar ?
Il me tend la main, un sourire bref. Une légère hésitation.
- Hugo Castel, j’étais le confesseur de Yolande.
Je reste silencieux. En général, c’est plutôt difficile de faire parler un prêtre, secret de la confession et tout ce qui va derrière. Il me tend un papier, c’est une lettre. Je commence à la parcourir en lui désignant la chaise devant moi. Apres ma lecture, je commence à comprendre.
- Elle a été postée ce matin.
- Et je suppose que les « relations contraire à votre fonction » concernent Mme Effar ?


Je me demande ce que j’espère de cet entretien. J’avais apporté la lettre, peut être plus parlante sur certains points que ce que j’aurais pu dire. Mais là, l’Inspecteur me surprenait. Pas une once de surprise. Il me regarde, et ne parait même pas étonné. Comme si c’était tout ce qu’il y avait de plus normal. Comme si le fait que je me sois éloigné de Dieu, de ma fonction, que je sois parjure avec mon serment, était naturel, dans l’ordre des choses. Je crois que notre communication silencieuse le dérange, comme elle me dérange, il cherche le dialogue verbal, pour entendre ce qu’il sait déjà. Et je ne suis pas sur de pouvoir prononcer les mots qu’il veut entendre. Je m’assois. Et je le regarde. J’attends la question fatidique, elle tombe. Et je sais qu’à cet instant, je scelle quelque chose à nouveau, tout comme quand j’ai rédigé et posté la lettre ce matin. Je concrétise, je rends tangible mes craintes, mes doutes. Je dépose ma Foi, pour aller vers des chemins que je ne connais plus. J’ai peur, peur pour moi, peur de moi, peur de ce que je sais d’elle, ce qui a échappé au reste du monde. Et j’ai peur aussi, car je vais devoir partager tout cela. Parce que je n’ai plus le choix. Parce que l’échange profond que j’ai eu avec elle de son vivant, ne peut pas en rester là. Parce que parler avec cet inspecteur va faire revivre quelques instant Yolande, ses angoisses et sa perception du monde. Et le « nous » qu’il n’y aurait jamais du avoir.
Je m’entends prononcer le oui. La discussion risque de durer longtemps.

"Il n'était pas lui-même la lumière, mais sa mission était d'être le témoin de la lumière". Jean, chapitre un, verset huit.

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